La sédimentation phraséologique

Depuis la fin du XXe siècle, l’étude des expressions figées (locutions, phrasèmes, idiotismes) a évolué dans le sillage de la théorie de la grammaticalisation qui stipule à l’échelle de la généalogie des langues que tous les morphèmes grammaticaux ont une origine lexicale

  • ex. fr. conjonction car  < lat. qua + re = par_laquelle_chose

et à l’échelle historique que des structures polylexicales, c’est-à-dire constituées d’un enchaînement d’unités lexicales

  • ex. un sauf-conduit : document conduisant le porteur le long d'un parcours où celui-ci restera "sauf", c'est-à-dire sera protégé de tout risque sous la "sauvegarde" d'un autorité administrative ou militaire)

ou d’unités lexicales et grammaticales

  • ex. faute de mieux : à défaut d'une  meilleure solution

se sont sédimentées et fossilisées à force d’être régulièrement énoncées sous la même forme et avec le même sens. Les expressions polylexicales « régulières » sont en principe compositionnelles, c’est-à-dire que le sens du tout résulte de la composition du sens (ou plus exactement de l’un des sens) de chacun des constituants de l’expression

  • ex. mettre une machine hors service = suspendre le service que rend une machine

mais fréquemment l’expression a perdu cette propriété, par exemple parce que ses constituants se sont figés dans un ordre que ne connaît plus le français moderne

  • ex. un document en bonne et due forme = sous la forme qui doit être adoptée pour que le document soit correct

Dans le fichier ci-joint, on a examiné trois illustrations de processus de figement de cette nature qui ont eu lieu en français classique (17e/18e siècles), la grammaticalisation partielle de l’adj. sauf,-ve, la disparition des emplois libres de prou, substantif et adjectif, et sa limitation à la formule adverbial peu ou prou, et celle de l’emploi nominal libre de fur, au profit de sa survie mystérieuse dans l’expression adverbiale au fur et à mesure.

 

J. François SAUF – PROU – FUR avril 2023